released July 3, 2023

"Mes semblables et mes idées s'obscurcissent parfois, mon esprit s'envole. Ainsi je marche, et le fil de mes pensées se distend, passe du coq à l'âne, de la clarté à l'obscur, quelques fois j'ai l'impression de me perdre moi-même en songes stériles, sans queues, sans têtes, le cerveau dérangé, désaxé, imprévisible, réalisant des associations d'idées de manière incontrôlable, frénétique, inattendue. Cela ressemble aux associations libres qu'on rencontre dans le premier sommeil, ou aux effets des substances psychédéliques, acides, psychotropes, opiacés. J'avais entendu parler d'une pilule bleue qui dix ans après sa prise pouvait déclencher une folie homicide... J'entendais les bruits de la rue sous ma fenêtre, l'alcoolisation des gens, on était vendredi et je savais ces choses, ma sieste m'avait détendu et éclairci ma pensée. Face à ma fenêtre je vois les avions traverser le ciel noir où s'accrochent déjà quelques étoiles éparpillées, je divague sur les habitants éphémères de ces aéroplanes puissamment motorisés, gloutonnant d'immenses quantités de kérosène pour trimballer leurs voyageurs à l'autre bout de la terre ou dans la ville d'à côté, accélérer le tempo et répondre aux aspirations façon business ou versant touriste. Ces petites fusées célestes irisent l'espace de feux clignotants rouges, obligatoires en phase de décollage et d'atterrissage. Les lundis m'offrent le privilège de décoller par procuration, invité au voyage, à l'exaltation des départs, ils me rappellent aussi plus sournoisement la hideuse figure de l'homme à travers l'ubris d'un oiseau de métal avec ses centaines de places assises. Les lumières de la ville s'éteignent, l'heure du matin, la bleue, s'installe. Un autre jour, une autre nuit, un autre temps, une autre vie, je sais pertinemment que quelque chose a changé. L'amorce de la descente se fait petit à petit, se met en place ; à l'abord du dernier rivage, du dernier mirage, le train avance lentement jusqu'au port de l'ultime désintégration. L'oiseau de métal clignait sur ma rétine, me faisait de l'œil, me rendant sourd pour un instant au bruit du monde."

Extrait de "Psyché 2056", Johan Le Velly, un roman autobiographique